Savoie rêvait. Du moins c'est ce qu'il pensait. En fait, il revenait à lui, après avoir souffert trop longuement de la faim.
"Un nuage. Je tombe. Non, je descends. Doucement dessus, puis, dedans. Tout autour de moi passe soudainement du noir au blanc. Pourrais-je être un oiseau? Non, j'ai trop le vertige...
La ouate m'entoure et me câline, me serre et me retient de faire une chute plus violente. Je me sens enfant. Nouveau-né. Je sens ma tête se débarrasser d'étaux qui la resserrait. Leur absence me fait réaliser la pression qu'ils me faisaient. Je les avais oublié tant il faisait longtemps qu'ils y étaient. Je sens mon nez se remplir d'oxygène. Je sens ma trachée s'ouvrir et laisser passer tout l'air du monde. Je sens mes membres se détendre, comme s'ils s'ouvraient, s'allongeaient, et voulaient embrasser le monde entier.
Puis, je me rappelle Aristote, dans son Panégyrique I:
Tout être vivant possède une âme que je nommerais anima en ce qu’elle est la puissance qui l’anime, mise en œuvre dans la formation de l’être vers sa forme achevée. Etant le principe d’organisation du corps vivant l’anima est inséparable de celui-ci. »
Je pense comprendre cette impression de flottement que j'éprouve en ce moment. C'est mon âme qui retrouve mon corps. Ou mon corps qui retrouve mon âme. En tous les cas, nous faisons deux à nouveau... Je me retrouve entier, je me retrouve entièrement. Je n'éprouve plus le besoin de me battre contre moi-même. Je renais, voilà ce qui m'arrive. Je me ré-aggrège. Après toutes ces épreuves, me voilà en train de me recomposer. J'ai du trop souffrir de la faim.
Ai-je donc été mort? Suis un revenant?
Sypous a écrit:Livre de l’Éclipse, Chapitre VIII - « La résurrection »
Ceux qui ont opté, comme toi, pour la résurrection ne gardent pas traces de leur périple céleste dans leur mémoire.
Alors je ne peux pas savoir si j'en reviens. C'est donc qu'il ne faille pas le considérer. Une chose est sure, cependant: je pense. Ainsi, ce moment, je le vis bel et bien. Je ne suis décidément plus le moribond qui m'habitait avant. Tout cela a changé en moi, est changé en moi, quelque chose s'est passé dans mon corps. Je le sais, le sens, je me sens. Vivre à nouveau. J'entends le chant du coq sonner. C'est l'heure du réveil.
Suis-je un nouvel homme? Suis-je transformé? Suis-je donc un autre? Un nouveau Savoie? Souviens-toi de la Pangégyrique III.
Quand une chose change, il faut bien en elle quelque chose qui demeure, sinon elle ne changerait pas, elle serait radicalement autre.
Alors je suis bien moi. Simplement, quelque chose à changé en moi. Je suis empli de vie. Suis-je celui que j'étais? Ai-je plutôt toujours été celui que je suis maintenant? C'est un peu l'histoire de la poule ou de l'oeuf...
Je reprends conscience. Je sens des gens autour de moi. On me veille. Je suis bien de retour parmi les hommes, ceux qui prennent soin les uns des autres. Je suis dans un lit. Douillet. Ce doit être celui-ci qui m'a fait me sentir dans les nuages. J'ai faim. Horriblement...J'ouvre les yeux. Avec un immense envie de manger un oeuf à la coque. Serti de poulet grillé. Allez savoir pourquoi."
C'est alors que Savoie ouvrit les yeux. Et qu'il trouva, à ces côtés, un homme qui le tenait par la main, par l'avant-bras, en fait. il devait l'avoir entendu se réveiller, et désirait s'assurer que son pouls soit bon. Derrière, il aperçu un autre homme. Ses habits trahissaient non pas le moine en lui, mais son statut d'évêque. Mais Savoie ne le connaissait pas. Puis, il aperçu un visage qu'il connaissait bien. Qui était-il? Oui! Son frère franciscain, son ancien élève... Ce petit clerc à l'avenir prometteur... Rehael... Il lui esquissa un sourire. La vue de ce dernier lui confirma ce qu'il pensait: il était effectivement de retour parmi les hommes.
Mes amis... Mon frère...
Il toussota, puis reprit tranquillement, difficilement:
Quelle joie de trouver enfin des visages amis... Mes prières ont été exhaussée... Me revoilà dans le royaume du Très-Haut: le royaume des hommes. Quelle joie...
Mais dites-moi: j'ai faim... grande faim... Vous avez des oeufs, dites-moi, à m'offrir?